C'est du sport! - Avec de la broche
Source: archive du journal Le Devoir
Auteur: Jean Dion
Sujet: L'article parle de la série web Coupe Mini-Putt 2012
Veuillez m’en excuser, c’est l’émotion. Une chance que les merveilles de l’informatique parviennent à camoufler que le sujet rédigeant ne tient guère en place en mettant en belles lettres carrées des mots qui seraient, s’ils étaient écrits à la main, illisibles en raison d’un tremblement induit par la rage de vivre, ou quelque chose du genre. Tenez, cela n’est sans nous rappeler un peu la poésie de Blaise Cendrars, qui traduisait une appréhension fiévreuse de l’univers : « Le seul fait d’exister est un véritable bonheur. »
Motif de l’emportement ? Plus tôt cette semaine a eu lieu le retour du mini-putt à la télévision. Sérieux. Et je n’entretiens aucun doute que Cendrars soi-même en personne aurait convenu qu’il s’agit là d’une source de ravissement tout à fait légitime.
Enfin, pas à la télé télé, mais dans les Internets, ce qui est tout comme de nos jours. Quatre nouveaux épisodes tout frais, de l’inédit, d’anciennes gloires et de jeunes loups qui croisent le putter pour notre indicible euphorie, Serge Vleminckx à la description, Carl Carmoni à l’analyse, peut-on demander mieux que ça, je ne croirais pas, non, à moins d’être violemment déraisonnable.
Depuis la mise en ligne de la première tranche, je m’offre la Coupe mini-putt 2012 à doses homéopathiques, pas plus de cinq minutes à la fois, question d’éviter un excès d’effervescence dans la région et les troubles généraux qui vont avec. (Vleminckx le mentionne d’ailleurs d’entrée de jeu : « Attachez vos tuques avec de la broche, ça va donner un grand coup. ») Je ne peux donc pour le moment vendre le punch au-delà du fait que sur le parcours du mini-putt de Shawinigan-Sud, le légendaire Jocelyn Noël, toujours lourdement concentré, amorce les hostilités et témoigne de la hauteur de ses ambitions avec un trou d’un coup par la porte d’en avant sur le Totem, mettant ainsi la main sur une bourse de 20 $, la première du tournoi, et que vous devriez voir cette ligne de birdie, impec tout du long, pas le moindre frémissement, la balle regarde simplement devant elle avant d’être happée sans hésitation par une coupe hospitalière.
Évidemment, le spectacle ne se laisse pas regarder sans faire affleurer dans le secteur du cogito toutes sortes de tendres réminiscences. Tout a commencé dans les années 1980 à TVSQ, la Télévision des sports du Québec. À l’époque, le bouton de la télé n’allait pas au-delà du canal 13 et il fallait se lever pour changer de poste, mais venait d’apparaître un second bouton qui permettait de pénétrer dans l’univers UHF, qui lui se rendait jusqu’à 99 (TVFQ, la télévision française au Québec), ce qui était un peu effrayant. TVSQ était la chaîne 24, le couple Buist, Suzanne et André, terrorisait les tapis verts, j’avais un magnétoscope de type Beta qui pesait 500 livres et il y avait aussi à TVSQ des petites quilles en provenance du salon de quilles Champion, sis boulevard Taschereau à Greenfield Park. Le mini-putt, lui, avait plutôt tendance à se dérouler au mini-putt Jean-Talon.
Puis il y a eu la période RDS, avec des noms qui font encore rêver : Jocelyn Noël, Carl et Suzanne Carmoni, Lucie et Gilles Bussières, Lionel Beaulne, Réjean Grenier, Paul Boucher (dont on dit qu’il était connu dans la grande région de Beauport sous l’appellation « Monsieur Birdie » ; j’ai d’ailleurs souvenance d’un match où il avait négocié un parcours de 27 qui me flanque encore des palpitations 20 ans plus tard). Des expressions utilisées sont passées à jamais dans le patrimoine national. On en voudra pour exemples « c’est ça la beauté du trou », « l’effet psychologique du logo du commanditaire » et l’arbitre qui nettoie la balle afin de s’assurer qu’elle n’est pas enduite de « substances étrangères », en l’occurrence le sable du trou numéro 10, les Trappes.
Ça se passe ici. Courez-y, et pleurez-en de bonheur.